Important: Ce texte est une œuvre de fiction. Toute ressemblance entre les personnages et des personnes réelles, ou entre les faits décrits et des événements réels, ne serait que pure coïncidence.
L’ombre d’une rivalité se profila lorsque des voix insistantes commencèrent à susciter la candidature de Neil. Toogba fut le premier à aborder :
— Neil, est-ce toi qui alimente ces rumeurs ? Depuis quand rêves-tu de devenir président ?
— Non, grand frère, rétorqua-t-il, très ploiement. Il l’appelle toujours ainsi, «grand frère », certainement en raison de l’écart d’âge, mais plus fortement en raison de leur origine géographique commune. Mon ambition, continua-t-il, est certes grande – les gens me l’apprennent tous les jours- mais pas au point de convoiter votre chaise.
Toogba hocha la tête, apaisé par cette réaffirmation de sa loyauté. Pourtant, une méfiance toute naturelle s’installa dans son esprit. Rapidement, il mit en en branle ses services de renseignement, traquant chaque mouvement de Neil et scrutant ses actions de près. Les rapports qu’il reçut furent accablants : députés, ministres, religieux et journalistes affluaient discrètement chez lui. Certains venaient tester sa générosité qu’on disait débordante ; d’autres, le pousser un peu plus vers son destin ultime.
Si vous n’avez pas lu la première parrtie, c’est ici >>> La Nuit des valises traîtresses
Une seconde réunion fut convoquée, cette fois en présence de plusieurs dignitaires du régime : Dahess, le chef du renseignement ; Joreb, député et allié du pouvoir ; et d’autres. En tout, ils étaient une demi-douzaine.
— Je sais ce que tu fais, Neil, lança Toogba, tentant de dissimuler son désarroi, même si son visage tendu et ses veines gonflées le trahissaient. Je sais que tu es derrière ce mouvement NL46. Cela doit cesser immédiatement.
Un silence pesant envahit la salle, rapidement rompu par Dahess :
— Avoir des ambitions n’est pas un crime, voyons. Si les NL46 le veulent pour chef, qu’ils aillent voter pour lui.
— Il ne s’agit pas d’ambition, rétorqua le président. Il s’agit d’un coup porté à tout ce que nous avons bâti depuis huit ans : la réforme du système partisan, la réduction du nombre de partis, les avancées politiques… Comment peut-il piétiner tout cela ? Au nom de quelle ambition ?
Se tournant vers Neil, Toogba éclata :
— Faites cesser ces rumeurs. Prenez la parole, organisez une conférence, et exigez qu’on arrête d’associer votre nom à ce cirque. Je ne le répéterai pas.
Neil tenta de se défendre, mais le président l’interrompit sèchement.
— En quoi cela dérange-t-il qu’on suscite la candidature de Neil ou même qu’il soit candidat ? objecta Dahess, croisant le regard furieux du président.
— Y en a marre de tout ça, Yann, cria le président en maintenant le duel visuel, soit vous servez la république soit vous la trahissez. Vous pouvez démissionner et préparer votre candidature aussi. Si vous ne le faites pas, je vous y aiderai.
Tous savaient que Toogba tenait à ses reformes – elles sont d’ailleurs les marqueurs de son rège. Tous convenaient qu’il creusait au plus profond de ses méninges pour en extraire les ébauches et que parfois, il était le seul capable d’en expliquer l’utilité et le bien-fondé. Tous lui concédaient ce robin des bois moderne qu’il s’imaginait être. Mais personne n’était assez devin pour l’imaginer aller à ses extrêmes pour les sauvegarder. Sur des aires menaçants, il les surprit tous.
*
Dans la mégalopole de Nokoué, coincée entre le lac qui lui donnait son nom et l’océan Atlantique, la vie battait son plein. Le cortège jaune des taxis-motos imposait leur rythme à la circulation, tandis que l’étau de la nuit se refermait lentement sur le jour.
Plus à l’ouest, dans un quartier balnéaire huppé, Neil ajustait son agenda. Ce soir-là, il devait honorer une invitation du président. Et au lieu de sa femme, il choisit la compagnie de sa fille cadette pour lui tenir compagnie.
La villa de Neil dressait ses balustrades qui donnaient une vue imprenable sur l’immensité azurée. Pour sa sécurité, une société privée qu’il a engagée sous les bénédictions du président lui-même veillaient à tout ce qui y accède ou en sort. A l’étage supérieur, par exemple, quatre soldats montaient la sentinelle, camouflés par leur uniforme gris qui se confondait à la nuit. À l’entrée, une multitude de gardiens dissuadaient tout intrus par la simple présence de leurs armes, à peine dissimulées. Et à en juger par les forces visibles et invisibles qui veillaient sur la propriété, il ne faisait aucun doute qu’elle était une forteresse imprenable. Si jamais il fallait la conquérir, un régiment tout entier y aurait laissé sa peau.
Voilà pourquoi la première étape de l’opération consistait à extirper Neil de cette citadelle. En réalité, personne n’avait vu ce coup-là venu, pour sûr qu’il a été fomenté dans les plus grands secrets de l’appareil d’État. Neil avait perdu tous ses fidèles occupants les postes stratégiques, ce qui court-circuitait sa chaîne de renseignements.
Ce soir, quand il se rendit chez le président, il ne pouvait nullement douter d’un guet-apens,
— Ainsi, tu finances la modification de la constitution que le peuple, dans son ensemble, s’est librement donnée, lui lança le président.
Il feignit de ne pas l’entendre, mais se résolut de fixer le liquide vermeil remplissant à moitié son verre,
— T’empoisonner ? s’enquit son vis-à-vis, un sourire malicieux dans le coin des lèvres. Tu ne me seras d’aucune utilité, mort, et c’est la dernière option qui me viendra en tête. Par contre, vivant et en prison, tu serviras de pièce à conviction quant à ma déclaration selon laquelle mes choix politiques ne reposent ni sur la famille ni sur l’amitié. Je l’ai exprimé publiquement, souviens-toi.
Neil tenta de se donner la voix, d’expliquer à son ami que son marchandage politique ne visait nullement la constitution, mais le code qui en avait été répliqué ; que son initiative allait dans le sens de l’intérêt général et dans la décrispation du paysage politique ; qu’il le faisait certes pour lui-même, mais surtout et avant tout pour tous ; que tout peut s’arranger encore ; que désormais qu’il savait qu’il en était au courant, il arrêterait la machine en cours…. Mais non seulement il ne retrouvait pas cette voix, c’était également déjà tard, trop tard.
Le président saisit la télécommande posé sur le guéridon, capta la chaîne nationale sur laquelle se déroulait une émission spéciale. En bande rouge, en bas de l’écran, se lisait en gros caractère : « TENTATIVE DE COUP D’ÉTAT DÉJOUÉ : 1,5 MILLIARDS SAISIS AU DOMICILE DE NEIL KOBI »
Sur les images retransmises en direct, Neil reconnaissait bien la nouvelle Skoida qui complétait sa collection, mais pas la plaque bleue qui lui conférait l’allure d’un « véhicule officiel ». Il ne reconnaissait pas non plus les nombreuses valises enfouis dans la mallle-arrière. Il voulait crier au complot, mais c’est désormais la parole de l »etat contre la sienne.
Fin