Important: Ce texte est une œuvre de fiction. Toute ressemblance entre les personnages et des personnes réelles, ou entre les faits décrits et des événements réels, ne serait que pure coïncidence.
De la truculente affaire des 18 kilos de cocaïne, jugée et rejugée jusqu’à ce qu’un verdict satisfasse leurs desseins, il était le cerveau et l’exécutant principal. L’exil du poissonnier, un protagoniste clé de cette affaire, marqua la chute d’alliés devenus encombrants et la montée de leur superpuissance. Quelques anciens complices, retrouvant le goût amer de la liberté d’expression après être tombés en disgrâce, insinuèrent même que la poudre provenait de l’un des innombrables stocks clandestins que cet homme dissimulait à travers la ville. Ils allèrent plus loin, dans les détails, expliquant par exemple comment il avait méthodiquement constitué une liste de policiers devant intervenir sur la scène du crime et leur avait confié des scenarii tout comme s’ils jouaient au théâtre.
En vérité, personne ne savait d’où lui venait cette conviction qu’une fois le pouvoir conquis, il fallait devenir impitoyable. Mais il était persuadé, presque obsédé par une crainte qu’il résumait en ces mots : « Celui qui aide à la conquête devient toujours un fardeau, cart exigeant, contraignant, et éternellement insatisfait. »
De l’ahurissante répression sanglante de mai 2019, il fut également l’artisan incontesté. En sentinelle depuis l’une des tours rénovées de la Rinama, joyau paré des fastes dignes d’un palais du XXIᵉ siècle, il avait le panorama sur la foule en furie. La clameur populaire grondait contre un régime devenu expert dans l’art de manipuler l’opinion et de se poser en victime. De ce poste d’observation, il persuada son ami, le président, qu’une secousse imminente menaçait leur pouvoir. Le message passa, et bientôt, les Kalachnikovs entamèrent leur macabre concert. Ce fut un spectacle d’une désolation que les Ninéens, connus pour leur pacifisme en gardent encore les séquelles.
Dans tant d’autres dossiers sensibles, engageant la vie même de l’État, Neil était un acteur central. Si la position de son ami n’avait pas été si hautement placé, on aurait pu le qualifier de simple « planton ». Dans un autre contexte, à Westeros par exemple, il aurait ardemment rivalisé pour le poste de Main du Roi. Mais ici, dans le périmètre présidentiel, il arborait fièrement le titre de vice-président, jouissant des privilèges et des pouvoirs afférents. Il était le bras opérant du président.
Pendant huit ans, Neil et Toogba gouvernèrent à leur manière, imposant leur tempo, maniérant le rythme comme un timonier dicte la direction de son navire. Frères plus qu’amis, ils l’étaient devenus après le périple du désert pour l’un, et l’amère expérience du coffre pour l’autre. Depuis l’Europe où ils trouvèrent asile, ils complotèrent main dans la main, cerveau connecté au cerveau, ouvragèrent les plus gros scandales, leur ouvrant, l’un après l’autre, le passage jusqu’à la tête du pays. Mieux, ils avaient le même goût pour la fourberie, les mêmes propensions à la tricherie et l’exploitation ainsi que les mêmes ambitions sans borne. Toogba président, Neil son vice, le schéma semblait si parfait. Sauf que jusqu’alors, ni l’un ni l’autre n’avait envisagé la possibilité d’un schéma inverse, autrement dit Neil président, Adjolon ….quoi ?
L’ombre d’une rivalité se profila lorsque des voix insistantes commencèrent à susciter la candidature de Neil. Toogba fut le premier à aborder :
— Neil, est-ce toi qui alimente ces rumeurs ? Depuis quand rêves-tu de devenir président ?
— Non, grand frère, rétorqua-t-il, très ploiement. Il l’appelle toujours ainsi, «grand frère », certainement en raison de l’écart d’âge, mais plus fortement en raison de leur origine géographique commune. Mon ambition, continua-t-il, est certes grandiose – les gens me l’apprennent tous les jours- mais pas au point de convoiter votre chaise.
( A suivre)